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L’amour de la nature a toujours été ancré en elle, celui des abeilles est plus récent, lié à un besoin de changement de vie. Après plus de 18 ans de carrière en bureau d’étude spécialisé dans les projets environnementaux et dépollution de sites industriels, Julie Victoria décide de se lancer dans l’entrepreneuriat. Elle réalise son rêve en 2019 en devenant apicultrice et en ouvrant « La Miellerie de Sulauze ». Outre le bonheur de pouvoir travailler dans la nature, c’est pour elle une aventure humaine et environnementale qui a du sens. Son leitmotiv : sensibiliser le grand public et faire découvrir son métier au travers de ses 300 ruches qu’elle bichonne avec affection.

Quel est votre parcours professionnel ?

Après avoir obtenu un DESS hydrogéologie et environnement, j’ai travaillé en bureau d’étude pendant près de 18 ans. J’ai occupé différents postes : chargée d’études en hydrogéologie, puis, directrice de projets environnementaux et dépollution de sites industriels dans une entreprise installée à Aix-en-Provence. Ayant pris de l’ancienneté, je suis arrivée à un stade où je faisais beaucoup de management d’équipe au détriment de la technique et du terrain qui me plaisaient énormément : investiguer les sites industriels, que ce soient les sols et les eaux souterraines pour identifier les zones polluées et mettre en place des plans d’actions pour les dépolluer.

Après dix ans de carrière et un rythme intense avec beaucoup de déplacements, j’ai décidé de prendre un congé sabbatique pendant six mois pour réfléchir à d’autres projets professionnels. A ce moment-là, j’ai identifié que ce qui me plaisait vraiment était de travailler dans la nature et j’avais déjà en tête de monter un projet agricole. Mais n’étant pas issue d’une famille d’agriculteurs, je ne savais pas trop comment m’y prendre et j’ai mis ce projet de côté, dans un coin de ma tête.

Puis, j’ai repris mon travail : j’étais dans une bonne boîte, avec de supers collègues et j’aimais mon métier malgré tout. Mais, à mes quarante ans, après huit années de réflexion, j’ai décidé que c’était le moment de changer de vie professionnelle !

Pourquoi avoir choisi l’apiculture ?

A cette période, j’avais les ARE pendant encore deux ans ce qui me permettait d’entreprendre sereinement. Mais il fallait que je me lance vite. J’ai choisi l’apiculture pour plusieurs points. Tout d’abord, cette activité me permettait de m’installer en tant que professionnelle (en étant propriétaire d’au minimum deux-cents ruches) sans nécessairement obtenir le BPREA (brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole). Je me suis formée sur le terrain, grâce à un ami apiculteur de longue date, Silvère Bru à Grans. Il m’a pris sous son aile pour me faire découvrir le métier.

Le second point était pour une question de facilité : contrairement à d’autres activités agricoles, les apiculteurs n’ont pas besoin de terre. J’installe mes ruches sur des terrains privés avec l’accord des propriétaires qui me demandent généralement une rétribution en miel. J’ai des ruchers à Saint-Chamas, Saint-Martin-de-Crau, Lançon-de-Provence, Lambesc et dans les Alpilles (Fontvieille, Saint-Rémy-de-Provence, Le Paradou).

Enfin, je suis tombée très tôt dans la marmite : quand j’étais enfant, mon père avait une vingtaine de ruches en tant qu’apiculteur amateur et j’aimais l’accompagner dans cette activité. C’est un peu magique quand on ouvre une ruche et qu’on observe tout ce qui se passe à l’intérieur ! Au-delà d’une simple passion c’est aussi un engagement sociétal et environnemental. C’est un métier nécessaire pour la pollinisation et donc pour notre planète.

Comment se sont passés vos débuts ?

Je me suis immatriculée fin 2019 mais je me suis vraiment lancée en 2020. Les deux premières années étaient assez difficiles car c’est un métier très technique qui demande beaucoup de connaissances. J’avais encore de nombreuses choses à apprendre sur le terrain.

Les premiers mois, j’ai investi dans du matériel couteux notamment un extracteur à miel électrique et des machines pour de la mise en pots. Mais en agriculture, nous avons la possibilité de monter des dossiers pour obtenir des aides du département, de la région, de la PAC et de FranceAgriMer. C’est grâce à ces subventions que j’ai pu acheter une grande partie de mon équipement.

En parallèle, grâce au réseau Initiative Ouest Provence, j’ai pu obtenir deux prêts d’honneur : un prêt d’honneur création de 7 000 euros à taux zéro et un prêt régional agricole de 30 000 euros à taux zéro. J’ai également sollicité un prêt bancaire au Crédit Agricole et injecté un apport personnel.

Lancer son entreprise, c’est un investissement financier, humain et physique. Il faut être bien entouré. J’ai eu la chance d’avoir le soutien sans faille de mon époux et ça c’est très important.

Votre entreprise a trois ans. Quel est maintenant votre rythme de travail ?

A présent, j’ai un cheptel de trois-cents ruches. Je suis encore considérée comme une « petite » apicultrice mais ça me permet de travailler seule et c’est mon souhait. J’ai quelques fois besoin de l’aide de mon mari lors des transhumances de ruches ou pour les grosses récoltes de miel de lavande qui sont très physiques. J’accueille également une stagiaire qui prépare un DUT en ingénierie agricole ce qui est d’un grand soutien en pleine saison.

Mes ruches sont installées dans différents environnements et me permettent de produire plusieurs types de miel en fonction des floraisons : miel de garrigue ou de romarin, miel de lavande, miel toutes fleurs ou de montagne.

Le rythme de travail est très soutenu : la saison commence fin février avec les premières visites du printemps. Je fais un état des lieux de tout mon cheptel : est-ce que l’état sanitaire des colonies est satisfaisant ? Y a-t-il des ruches orphelines ? Les réserves de nourritures sont-elles suffisantes ?

Ensuite, tout le mois de mars je m’attache au développement des ruches : en donnant si nécessaire des sirops de stimulation pour la ponte et en développant les essaims. Le travail consiste à prélever des cadres d’oeufs et de larves d’abeilles dans de vieilles ruches que l’on place ensuite dans des ruchettes. Ces petites colonies orphelines vont élever une nouvelle reine et se développer ce qui va permettre d’augmenter le cheptel ou de remplacer les colonies mortes pendant la saison précédente. L’objectif en été est de faire grossir les colonies pour obtenir une bonne production.

Le travail ne s’arrête pas là. Après les premières récoltes, il y a le travail en laboratoire avec la ligne d’extraction de miel, le stockage en fût et la mise en pots.

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Vous parlez de la mise en pots. Comment commercialisez-vous votre production ?

80% de ma production est déposée dans une coopérative agricole auto-gérée. Je fais partie de « Provence Miel » qui est la principale de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Elle est composée d’une soixantaine d’apiculteurs ce qui permet de faire de la vente en gros.

Cependant, j’ai aussi besoin de faire de la vente directe car cela m’apporte une marge plus importante. Je conserve donc une partie de ma production afin de la commercialiser en pots sous ma propre marque « Miellerie de Sulauze » chez des distributeurs partenaires : épiceries fines, primeurs, brasseries du territoire. Je participe également aux marchés de Noël et je travaille aussi avec quelques CE d’entreprise. C’est un investissement en temps très important mais j’ai besoin de garder un juste équilibre entre la vente directe et en coopérative afin d’être rentable.

Depuis cette année, je peux me dégager un petit salaire. Mais avec l’inflation, ce n’est pas facile car tout augmente : le prix des matières premières comme la verrerie, le bois, les ruches, les produits de nourrissement… sans oublier le prix du carburant nécessaire pour tous mes déplacements.

Rencontrez-vous d’autres problématiques ?

Oui et elles sont principalement environnementales. Le premier problème est le varroa, un petit acarien parasite de l’abeille qui affaiblie les colonies et le second est le développement du frelon asiatique dans la région. L’année dernière c’était vraiment critique et nous avons dû déplacer de nombreux ruchers car le frelon se nourri des abeilles et les terrorise. Constat : elles sortent beaucoup moins de leurs ruches, elles font moins de récoltes, elles ne s’alimentent plus et ne se développent plus. Ça devient également un problème pour les collectivités qui ont pris conscience du danger. Des entreprises spécialisées dans la destruction des nids de frelons se développent mais ce n’est pas suffisant.

L’autre problème est lié à la sècheresse. L’année dernière nous avons eu une période très chaude qui nous a fait perdre 40% de notre production de miel de lavande par rapport aux années moyennes et dans la région, les producteurs vivent essentiellement de la production de miel de lavande…

Enfin, il faut savoir qu’en France nous sommes en sous production par rapport à la consommation nationale : nous produisons 30% des ventes de miel. Le secteur pourrait produire encore plus mais nous sommes confrontés à l’importation. L’obtention de l’IGP (Indication Géographique Protégée) est un gage de qualité et de traçabilité.

Quels sont vos projets d’avenir ?

Sensibiliser le grand public fait partie de mes objectifs. J’aime expliquer en quoi consiste mon métier et organiser des dégustations. Cela fait deux ans que je suis retenue par la ville de Marseille pour participer à la semaine du goût dans les écoles primaires. J’adore échanger avec les enfants qui sont très curieux et posent plein de questions. J’aborde avec eux des sujets environnementaux importants comme la pollinisation. Je renouvellerai ma candidature cette année.

Mais mon principal objectif est de développer mon cheptel et d’atteindre les 350 ruches afin d’augmenter ma production. Je pense pouvoir y arriver d’ici un an ou deux. Il faut aussi que je continue à pérenniser ma marque « Miellerie de Sulauze » et mes ventes en pots en démarchant encore quelques CE et des boutiques vers Aix-en-Provence et Marseille.

Quelques mots sur le domaine de Sulauze ? Lieu incontournable de la région.

En effet, c’est un domaine qui est très connu localement et qui bouillonne d’activités. Il est réputé en tant que vignoble. Mais c’est aussi un lieu de vie et de partage.

La cave, gérée par Karina et Guillaume, produit du vin en biodynamie. Actuellement, le domaine compte trente hectares de vignes. Le couple gère également une magnifique salle de réception pour les séminaires, soirées, mariages, etc.

Le domaine accueille aussi la brasserie de Guillaume David qui produit des bières artisanales. L’été, il propose un Beer Garden trois soirs par semaine dans un cadre exceptionnel.

Enfin, la manade du Vieux Sulauze, gérée par la famille Fano, propose de la vente de viandes de taureau bio en élevage extensif et la salle de réception Les Berlettes.

Miellerie de Sulauze
06 99 04 03 73
mielleriedesulauze@gmail.com
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Crédit photo : Ludivine Rambaud